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Jouer du piano plus facilement...
Opinions sur le site
5. Le poids de la main (du bras)
Peut-on jouer la main crispée?

Dans ce chapitre:

►5.1 La main doit-elle ętre relâchée ou crispée?
►5.2 Les dilemmes du débutant: l'inertie et recherche d'une "belle sonorité"
►5.3 Comment gérer concrètement le poids de la main?
►5.4 Les erreurs et les remèdes
►5.5 Au contact du doigt avec le clavier
 ATTENTION! 
Le texte ci-dessous comporte plusieurs liens dirigeant vers des informations supplémentaires.
Certains parmi eux (marqués comme ceci ou comme cela) ouvrent de nouvelles fenêtres. Pour une meilleure compréhension du texte, je vous recommande de ne pas ouvrir ces liens
lors de la première lecture, mais d’y revenir après avoir lu le chapitre entier,
si vous souhaitez acquérir une connaissance plus complète.
*     *     *
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[...] le poids d'un membre supérieur s'élève moyennement à 3,6 kg (avec l'épaule)
Czesław Sielużycki - "La main du pianiste", p. 120, PWM, Cracovie 1982
5.1 - La main doit-elle ętre relâchée ou crispée?

5.1.1 A la fois un peu crispée et un peu relâchée - telle est la réponse la plus courte. Quant à la question posée dans le sous-titre du chapitre (Peut-on jouer la main crispée?), je réponds sans hésiter: non seulement on peut jouer la main crispée, mais c'est même un impératif, à condition toutefois de la crisper de manière intelligente et efficace. Vous en saurez davantage après la lecture de ce chapitre.

Un bras totalement relâché, inerte, ne se résume qu'à quelques kilos de viande entourant un os et il ne peut accomplir aucune tâche, même la plus simple. Jouer du piano dans ces conditions est par conséquent impossible. La règle, enseignée aux élèves depuis près de deux cents ans, selon laquelle il faut jouer la main relaxée, n'est pas suffisamment précise. Elle prête à confusion et c'est d'ailleurs ce qui se produit très fréquemment!
ATTENTION!
Pour bien comprendre ce qui va suivre vous devez vous familiariser avec les termes suivants:
"pont" et "grue": informations préliminaires (cette fenêtre) - chapitre 1 en préparation,
"fixations": informations préliminaires (cette fenêtre) et le point 5.1.2 qui suit, élément du chapitre 2 en préparation.
5.1.2Dans la vie quotidienne, nous nous servons des articulations* des mains d'une manière assez basique en général - plus la force à appliquer est grande, plus leur fixation est importante (toutes en même temps et, le plus souvent, avec une intensité identique). Cependant, jouer du piano est un processus complexe qui demande une fixation subtile et surtout sélective des articulations, et ce dans des configurations qui ne cessent de varier. Nous le savons, les articulations d'une main totalement inerte sont dépourvues de toute tension, quant à celles d'une main entièrement crispée, elles sont tendues au maximum. Ces deux états extrêmes induisent une immobilité de la main et font un peu penser à une fixation incorrecte (extrême) d'une vis de régulation des mécanismes de différents appareils. Prenons l'exemple de ciseaux ordinaires. Si la vis qui relie les deux lames est trop serrée, le mécanisme sera bloqué (impossible d'ouvrir ou de fermer les ciseaux). Par contre, si la vis est trop peu serrée, les ciseaux perdront en précision, car des lames trop éloignées coupent mal. Une situation similaire se produit avec la majorité des 29 articulations du membre supérieur. Aussi bien une fixation trop forte qu'un relâchement trop important ont une influence négative sur la technique de jeu. Cependant, entre ces deux extrêmes il existe toute une gamme d'états intermédiaires et utiles de fixation des articulations.
*Bien évidemment, une articulation ne peut aucunement effectuer par elle-même des mouvements, de fixations ou de relâchements. Ce travail est effectué par les muscles qui font mouvoir les parties auxquelles ils sont attachés. Néanmoins, dans le langage courant, et surtout dans la pédagogie du piano, l'articulation est fréquemment perçue comme une source de mouvements ou un point de référence facile à identifier (par exemple dans des expressions telles que "jouer du coude" ou "soulever le poignet"). Voilà pourquoi je vais utiliser ici ce raccourci bien commode.

5.1.3Chaque fois que je vois un élève qui joue avec une main ressemblant à un pneu mal gonflé, je pense à un chirurgien qui opère avec un scalpel en plastic, c'est-à-dire avec un outil totalement inadapté pour un travail exigeant une grande précision... Datée du 19e siècle, la théorie très répandue selon laquelle tout le poids de la main doit retomber sur le clavier (théorie qui a même réussi à séduire Neuhaus, à force de tradition) doit être une fois pour toutes mise de côté, car:

Il convient de souligner, avec insistance, que faire retomber [la main sur le clavier] par inertie ne correspond pas au phénomène physique de chute libre,
car dès le début ce mouvement est contrôlé, et surtout r a l e n t i
.
 
Czesław Sielużycki - "La main du pianiste", p. 121, PWM, Cracovie 1982


Pour illustrer ce problème, nous citerons une remarque amusante du professeur Richard Bakst prononcée au cours d'une classe de maître à Duszniki-Zdrój. Il a interrompu une participante à peine après quelques mesures de la Grande Polonaise de Chopin (Op. 22) et il a dit: "Attendez un peu - on ne peut pas jouer ça comme un canard couin-couin!". Une telle comparaison avec une patte de canard sur le clavier illustre parfaitement la répercussion d'une main trop relâchée sur le jeu!

5.1.4Pourtant, de nombreux pédagogues considèrent toujours ce relâchement comme la panacée à tous les problèmes techniques et ils inculquent à leurs élèves, plus ou moins consciemment, la crainte de la crispation de la main. Cette situation résulte, probablement, de l'observation de ceux qui disposent d'une bonne technique (innée ou travaillée). Lorsqu'elles jouent, ces personnes semblent avoir une grande liberté de mouvements, ce qui donne une impression de relâchement. Cependant, c'est une impression trompeuse, car plus le texte musical est difficile techniquement parlant, plus les gestes à effectuer doivent être complexes. Plus un mouvement est complexe, plus il y a de muscles engagés et plus le poids de la main rend son exécution difficile. Un mouvement, quel qu'il soit, demande une contraction musculaire, et une main trop relaxée est une main inerte, inapte à supporter son propre poids.

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5.2 - Les dilemmes du débutant: l'inertie et recherche d'une belle sonorité

5.2.1Pour un pianiste inexpérimenté, l'une des plus grandes difficultés est cette contradiction (illusoire): la main doit être à la fois légère (pour permettre une technique rapide et brillante) et lourde (pour obtenir un son joli et profond). Un pianiste qui ne sait pas gérer ce problème joue soit rapidement, mais "superficiellement", soit avec un son agréable, mais avec un jeu lent et lourd. Je le répète, cette contradiction est illusoire, car évidemment aussi bien la légèreté de la main que l'utilisation de tout son poids ne se produisent pas en même temps, mais en alternance. Voilà le secret d'une bonne technique de jeu.

5.2.2En théorie, la main du pianiste (le membre) peut:
soit reposer sur le clavier - c'est la position du "pont", lorsque le doigt atteint le fond d'une touche et le poids (entier ou partiel) de l'appareil moteur bien fixé repose sur lui,
soit être suspendue au-dessus de lui - c'est la position de la "grue", lorsque le poids plane au-dessus du clavier et qu'il est prêt à être libéré à chaque instant (pont et grue - cf. 5.1.1).
Il n'y a pas de troisième possibilité.
Il est évident que plus le tempo augmente, plus la position de "grue" prédomine. Dans ce cas là, l'alternance pont/grue mentionnée plus haut devient de plus en plus fréquente et accroît les difficultés techniques.

5.2.3Pourquoi le poids de la main peut devenir gênant - l'inertie de la masse.
L'effet indésirable de l'inertie peut être facilement observé par exemple pendant une course, lorsque les poches de notre manteau sont remplies d'objets lourds tels qu'un téléphone, un portefeuille ou un grand trousseau de clefs. Si nous retenons les poches avec nos mains, nous remarquerons que ces objets nous gênent moins, même si leur poids n'a pas changé.

Il en est de même avec celui des différentes unités de l'appareil moteur: les articulations qui les relient doivent être "tendues", jusqu'à un certain niveau, par les muscles, et donc fixées de manière à éviter une trop grande inertie, source de lourdeur technique.

N.B. Il convient toutefois de noter qu'une inertie contrôlée de la main est bénéfique pour le pianiste dans certaines situations. Habilement utilisée et correctement dosée, elle peut être très utile notamment lors des mouvements projectifs et rotatifs.

5.2.4La "recherche d'une belle sonorité" peut-elle avoir une influence positive sur le travail de la technique de jeu?
Oui, certainement, mais pas à tous les niveaux de maîtrise, ni dans chaque situation. Quel intérêt de jouer la cantilène d'un nocturne avec du son magnifique alors qu'on trébuche sans arrêt sur des trilles ou des traits incorporés dans cette même cantilène? La recherche de sonorités peut enrichir l'agilité manuelle du pianiste, mais uniquement à condition que celui-ci dispose déjà d'un certain bagage technique et d'une ouïe suffisamment sensibilisée. Dans tous les autres cas, par contre, les tentatives de masquer les problèmes techniques par la recherche d'une expression artistique et d'une belle sonorité n'aboutiront qu'à des déceptions et des échecs, car cela ne répond pas aux questions "comment ça marche?" ni "comment faire?". D'ailleurs, même Cz. Sielużycki écrivait: "[...]les problèmes techniques peuvent rarement être résolus uniquement d'une manière artistique" (cf. 0.1.1-2).

5.2.5Je préfère, pour ma part, appliquer une autre procédure, qui consiste à trouver des solutions techniques à travers la motricité et considérer la qualité du son comme une vérification auditive. Dans la pratique, au cours, cela se déroule de la manière suivante: je joue à mon élève la partie du morceau qui lui cause des difficultés, mais à un tempo modéré et en exagérant volontairement les mouvements qui sont normalement invisibles lors d'un jeu rapide (cf. le "film ralenti" de Neuhaus et le titre très évocateur du livre de T. Matthay - "Le visible et l'invisible dans la technique pianistique"), sans pour autant négliger la qualité du son. Ainsi, l'élève ne se sent pas frustré d'être incapable de jouer ce fragment suffisamment vite et il peut immédiatement essayer de m'imiter à la fois sur le plan du mouvement et de la sonorité. Bien évidemment, dans la pratique cela ne se déroule pas aussi simplement - cf. la description du travail sur la partie centrale de l'Étude en octaves de Chopin...

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5.3 - Comment gérer concrètement le poids de la main?
5.3.1La "grue" - le poids suspendu
Un ami organiste, André Siekierski, m'a dit qu'il fixait la hauteur du banc de manière à ce que ses pieds restent librement suspendus au-dessus du pédalier. Nous pouvons très bien le voir sur la vidéo ci-contre (sans son - source: Youtube). L'organiste peut donc facilement déplacer les jambes au-dessus du pédalier, alors que le poids de son corps repose naturellement sur le siège.

N.B. Vous pouvez également le voir sur les vidéos de Cameron Carpenter, dans lesquelles il interprète à l'orgue des Études de Chopin: la "Révolutionnaire" (Op. 10 n° 12) et en do# min. (Op. 10 n° 4).

Les mains (les membres) du pianiste doivent être suspendues au-dessus du clavier de la même manière, mais réussir à obtenir cette position est beaucoup moins évident. Les pianistes dotés de ce que l'on appelle la technique innée savent le faire instinctivement, sans même se rendre compte de la façon de le faire. Les autres, quant à eux, doivent travailler sur cette question pour éviter par la suite des problèmes techniques incessants.

5.3.2Le poids de l'appareil moteur devrait être équilibré par la force des muscles de manière à ce que le pianiste ressente sa main légère comme une plume, comme si elle se trouvait en apesanteur (cf. "vol plané" et "rampement"). Chopin conseillait de "tenir la main comme suspendue en l'air (sans pesanteur)" (Kleczyński/Eigeldinger).

La meilleure position de la main est celle qui peut être changée le plus vite et le plus facilement.
Heinrich Neuhaus - "L'Art du piano", p. 104, Éd. Van de Velde, Paris 1971

Cette citation confirme, de manière indirecte, la phrase énoncée au début de cette partie: il est impossible de manipuler facilement une main lourde et inerte.

5.3.3Le "pont" - le poids appuyé
Les règles de base de l'incidence du poids de la main sur le mécanisme du piano sont:
l'impulsivité de la libération de ce poids
et l'activité coordonnée des muscles tendus.
5.3.3.1L'impulsivité (fonctionnement par impulsions mécaniques - cf."Les secousses du bras")
Les impulsions proviennent de l'épaule. Nous assumerons que l'appareil moteur fonctionne de manière correcte et intégrée, selon la technique neuhausienne du "pont" (les autres pédagogues l'appellent "contact doigt-épaule" ou "repos du doigt sur la touche"), qui consiste à diriger le mouvement d'une manière inclinée, en quelque sorte vers le fond du piano (illustr. 1). Pour plus d'informations, veuillez consulter ultérieurement le chapitre 1 (en préparation).
Lorsque nous voulons faire sortir un son du piano, l'épaule libère un très court instant le poids du membre (et donc lui permet de tomber), puis ramène immédiatement ce poids au niveau d'équilibre, soit entièrement, soit presque entièrement (dans le cas d'un legato*, une infime partie de celui-ci doit rester sur le clavier, afin que l'étouffoir n'atteigne pas la corde; néanmoins, ceci ne doit pas perturber l'impulsivité). L'appui et le relâchement de la touche ne doivent pas être considérés comme deux mouvements séparés, l'un vers le bas, l'autre vers le haut. Bien évidemment, la touche s'enfonce, mais lors du jeu il faut garder l'impression d'opérer par des mouvements dirigés uniquement vers le haut (il s'agit principalement des mouvements de l'épaule, mais cela concerne aussi d'autres éléments), car la plus grande partie de la force dirigée vers le bas provient d'une source naturelle - la pesanteur. Ce qui importe, c'est que le mouvement de la main vers le bas contienne déjà en lui-même le mouvement de retour vers le haut. Ce doit être un mouvement momentané, un peu comme si la main était suspendue à un ressort et que chaque mouvement vers le bas étirait ce ressort pour ramener ensuite la main au niveau d'équilibre.
Le graphique ci-contre décrit cette règle:
h - profondeur de la touche (cf. chapitre 3)
t - temps
- l'instant de la production du son
*Le problème du legato: Le caractère impulsif de la technique pianistique apparaît dans le jeu des pianistes inexpérimentés sous la forme d'un legato irrégulier, voire "haché". Pour éviter cet effet, ils renoncent à l'impulsivité du jeu en la remplaçant par un appui constant d'une touche à l'autre ce qu'on appelle parfois une "déambulation" des doigts sur le fond du clavier (il s'agit, bien évidemment, d'une comparaison erronée). Cependant, cela ne donne pas de bons résultats, car le fait de surcharger la main engendre d'autres problèmes techniques, dont je parle ci-dessous (point 5.4.1). Pour obtenir un legato fluide avec un son homogène, il faut uniformiser l'attaque des touches, et donc la vitesse d'activation des marteaux successifs. Pour plus d'informations, veuillez consulter le point 5.5.2 consacré à l'amortissement.
5.3.3.2Les muscles tendus
Muscles tendus ou mains crispées - ces mots suscitent autant d'émotions négatives chez les professeurs de piano qu'un dérapage chez un conducteur moyen. Pourtant, pour un chauffeur de rallye les dérapages contrôlés constituent l'une des bases des techniques de conduite. Il en est de même avec le piano: la crispation des muscles de la main est un phénomène normal et totalement positif. Il suffit juste de savoir comment l'exploiter et à quel moment utiliser les muscles adéquats (et lesquels relâcher). Si nous jouons des morceaux du "grand répertoire", nous devons nous servir d'une grande technique pianistique, de celle qui ne craint pas les moyens spéciaux. Au cas où vous ne seriez pas convaincus, je vous conseille de regarder la vidéo ci-contre sur laquelle on peut voir les mains de W. Horowitz, l'un des titans du piano, décrit par Sielużycki comme un "phénomène de vitesse et de précision". Ses mains sont aussi serrées et élastiques qu'un outil de précision en acier, l'effet global étant obtenu grâce à une contraction adéquate des muscles! J'ai coupé volontairement le son dans cette vidéo pour que vous vous concentriez uniquement sur le travail des mains. Les versions intégrales sont disponibles sur Youtube: Schubert-Liszt et Moszkowski.
▲Haut de page▲    ►5.3    ►5.4    ►5.5
5.4 - Les erreurs et les remèdes
5.4.1Parmi les erreurs les plus fréquentes dans la manière de gérer le poids de la main sur le clavier nous pouvons citer:
l'utilisation d'une masse trop grande, ce qui fait "couler" les doigts sur le clavier à cause du poids trop grand - surtout dans les fragments les plus rapides. Liszt voyait cela comme une sorte de "rampement" sur les touches. Des moyens techniques tels que l'utilisation des fixations ligamentaires, des projections, des rotations, des secousses d'épaule, etc... ont pour but de combattre cette difficulté, c'est-à-dire de permettre d'obtenir beaucoup d'énergie avec un minimum d'effort et préserver ainsi une légèreté de l'appareil moteur. Ces techniques seront présentées en détail dans d'autres chapitres;
l'utilisation d'une masse trop faible pour jouer piano, alors que pour bien le faire il faut se servir d'autant de poids que pour toute autre nuance. Néanmoins, le piano demande une libération plus lente de ce mouvement (cf. rozdz. 3.3);
le manque d'amortissement dans le point de rencontre du doigt avec la touche - vous trouverez une description détaillée ci-dessous, dans le point 5.5.

Comment éviter ces erreurs?

5.4.2Comme je l'ai déjà dit, l'une des erreurs les plus fréquentes lors des exercices est celle de jouer avec une main trop relaxée et le fait de la resserrer par nécessité lors des fragments plus difficiles, impossibles à jouer avec un relâchement complet. Et si nous retournions le problème et que nous commencions par une main certes un peu trop serrée, mais plus légère par contre et capable de réaliser les impulsions les plus subtiles?
Mettons donc de côté le fait qu'une main relâchée s'enfonce dans le clavier, constatation qui limite la technique de jeu. Prenons plutôt pour point de départ la main (en tant que membre entier) initialement crispée, afin de pouvoir suspendre au-dessus du clavier tout son poids (et non pas uniquement l'avant-bras et la main, avec une épaule inactive), et expérimenter sur cette base:
comment, quand et à quel point libérer le poids indispensable pour jouer?
comment faire pour que les muscles se reposent tout en réalisant des milliers de contractions indispensables? Joseph Hofmann a calculé qu'"au cours d'un récital de 80 minutes, un pianiste effectue plus de 100 mille mouvements différents" (Sielużycki). Dans ce cas, combien de muscles travaillent lors d'un mouvement pianistique sachant qu'une seule main en comporte plus de 50?
5.4.3Neuhaus conseillait de jouer des octaves lourdes (fortissimo et martellato) "avec tout le bras qui forme - du bout des doigts à l'articulation de l'épaule - une branche solide, élastique, mais inflexible (sont exclus: les mouvements des doigts, du poignet et de l'articulation du coude*)". C'est une vision assez subjective et je ne suis pas tout à fait d'accord avec le fait de devoir entièrement exclure les mouvements des doigts, et plus précisément ceux des phalanges distales (parties situées près des ongles). Je traiterai en détail cette question dans le chapitre 8.
*Ici, c'est ma propre traduction, celle du livre étant trop imprécise.

Pour l'instant, demandons-nous plutôt si une telle préparation de la main peut servir à autre chose qu'à jouer des octaves martellato et fortissimo. Que se passerait-il si nous tentions de modeler avec une telle main une cantilène délicate ou que nous nous exercions à des traits difficiles dans un tempo modéré? Nous aurions certainement obtenu une plus grande opérabilité de la main qu'avec un relâchement trop important.

Pour compléter les dires de Neuhaus, nous pouvons conseiller d'étirer légèrement les doigts (avec phalanges distales actives) et de rapprocher légèrement les épaules (la position "poitrine en avant"). Il faut cependant faire attention, car un rapprochement des épaules trop important provoque un retrait automatique et indésirable des bras (coudes). Pour éviter ce problème, il faut éloigner légèrement (quelques millimètres) les coudes du corps, ce qui est, d'ailleurs, un procédé technique très recherché de "bras arrondis" (allem. "O-Arme"). Dans ce mouvement, les bras ressemblent à des ailes d'oiseaux -  non seulement visuellement, mais également du point de vu de l'anatomie (Sielużycki). De nombreux théoriciens l'appellent alors "le mouvement alaire".

La trop grande crispation initiale de la main ne se maintient pas très longtemps, car durant les exercices celle-ci a tendance à se relâcher pour atteindre le niveau correct et ainsi les muscles inutiles ne sont plus mobilisés. De cette manière, la main garde la légèreté et la souplesse nécessaires pour une technique de jeu rapide. Ce genre d'exercices donne des résultats spectaculaires, même chez les amateurs. Je vous propose de le tester - pour confirmer la véracité de mes propos - sur l'exemple d'un fragment très difficile de la "Toccata" de Debussy (vidéo et 20 extraits audio).

 ATTENTION!   Ne forcez pas! 
Cette manière de jouer, avec la main crispée, donne certainement des résultats très étonnants, mais dans la première phase d'apprentissage elle engendre une surcharge mécanique, surtout lors de changements du style de jeu. Ce risque va peu à peu se dissiper avec la maîtrise de cette méthode et l'élimination des tensions inutiles. Mais avant d'en arriver là, il faut savoir garder la mesure, faire attention et éviter de forcer. Il faut se préoccuper particulièrement des tendons. Lorsque ces derniers sont trop sollicités, ils donnent l'impression de former un fil douloureux sous la peau. Si cela se produit, il faut immédiatement cesser de jouer, relâcher la main (la secouer comme pour faire "égoutter" les doigts*) et ensuite faire couler de l'eau froide sur l'endroit douloureux ou poser une compresse de glace. Si les symptômes persistent le lendemain, il faut aller consulter un médecin ou, au moins, un kinésithérapeute (cf. chapitre "Gymnastique et problèmes de contusions").
*Cf. la fin de cette vidéo
5.5 - Au contact du doigt avec le clavier
5.5.1Voilà que nous arrivons au moment essentiel - la production du son, c'est-à-dire la mise en relation de l'appareil moteur avec le mécanisme du piano. Le poids de la main doit effectuer un "atterrissage en douceur" sur le clavier. Pour que ce geste soit bien amorti, il faut effectuer ce que l'on appelle une contraction de support (ang. "supporting contraction"). c'est-à-dire un ralentissement musculaire du poids de la main. Si ce ralentissement est insuffisant ou qu'il n'est pas suffisamment fluide, le poids de la main actionne le mécanisme du clavier trop brusquement, ce qui produit un son trop sec. Le choc d'un doigt trop chargé contre le fond de la touche engendre une grande perte d'énergie, ce qui rend difficile la production des sons suivants et ralentit la technique de jeu.

5.5.2Je rappelle que la main comporte 29 articulations et plus de 50 muscles. Beaucoup d'entre eux assurent la souplesse, mais les principaux amortisseurs se trouvent dans le poignet et le métacarpe. Le processus d'amortissement du métacarpe est décrit plus précisément dans le point 8.3. En ce qui concerne le poignet, chaque impulsion induite par l'épaule (cf. 5.3.3.1) provoque un léger mouvement de chute▼ de tout le bras, qui est particulièrement visible sur le poignet qui s'abaisse. C'est donc la tension musculaire, facteur prédominant de son élasticité, qui détermine le niveau d'énergie qui sera dirigée vers le mécanisme du piano et quelle partie de celle-ci sera dissipée par la flexion du poignet. L'élasticité du poignet peut être comparée aux amortisseurs d'une voiture - il ne faut pas que celui-ci soit trop dur, ni trop mou. Le soulèvement du bras par un mouvement momentané, (décrit dans le point 5.3.3.1) provoque une remontée automatique du poignet▲. Les oscillations du bras et du poignet sont aussi importantes pour la main que la respiration pour un chanteur - elles permettent le repos et l'accumulation d'énergie indispensable pour la suite du jeu. L'effet de legato est obtenu par une modulation adéquate de l'élasticité du poignet et la répartition des sons successifs en phases ascendantes et descendantes de celui-ci. En général, le premier son de la série est synchronisé avec l'impulsion, c'est-à-dire avec la retombée du poignet, et les suivants avec sa remontée. Cependant, ce n'est pas la même chose que la "déambulation" sur le fond du clavier décrite plus haut, car après une impulsion franche et visible, les notes suivantes, jouées lors de la remontée du poignet, sont interprétées par des sous-impulsions beaucoup plus subtiles et invisibles. Busoni n'avait pas tort lorsqu'il disait qu'il était impossible d'exécuter un authentique legato sur un piano. Le pianiste doit donc créer une illusion acoustique.

5.5.3Pour être certain d'obtenir à coup sûr un amortissement, il faut jouer très près du clavier, c'est-à-dire, comme on a coutume de le dire, en "rasant le clavier". Neuhaus, quant à lui, fait référence à Rachmaninov:
Nous parlons de "l'implantation" des  doigts sur le clavier,  de la "germination" des doigts (selon le mot de Rachmaninov), nous parlons du clavier comme
d'une matière souple dans laquelle on pourrait "pénétrer" etc.
Heinrich Neuhaus - "L'Art du piano", p. 71, Éd. Van de Velde, Paris 1971
Cf. "Toucher" dans la méthode de Chopin - p. 6.2

Le professeur Godziszewski aborde le problème de la manière suivante: "Si tu veux pousser fort une chaise pour la faire glisser de quelques mètres sur un sol lisse, tu ne peux pas la heurter de loin, car tu te feras juste mal à la main et, de toute façon, la chaise ne partira pas bien loin [une grande partie de l'énergie sera dissipée lors du contact de la main avec le meuble - AW]. Par contre, la situation sera toute autre si tu poses d'abord la main sur la chaise".

Jerzy Godziszewski - fin du Prélude en sol mineur de Chopin (mes. 34-41),
extrait du film de la télévision polonaise "Autour de Chopin", réalisé par Katarzyna Marcysiak.
Sous le curseur - la frappe de près du troisième accord avant la fin, dans la mesure 40.
Le clic ouvre une courte vidéo.
La touche
 F5  (rafraîchir l'affichage) = retour sur les photos initiales après le visionnage de la vidéo.
Bien que la piste sonore de cet enregistrement ait été soumise à une double compression, à la télévision et sur internet, la profondeur du son est clairement perceptible. Si vous regardez attentivement l'interprétation du premier accord de la mesure 40, visible sur la photo ci-dessus (position 00:06 de la vidéo), vous remarquerez que Godziszewski réalise pendant un court instant un mouvement d'amortissement en secouant son épaule (cf. chapitre 8), ce qui a pour objectif de soulager la main avant d'attaquer l'accord suivant. L'exécution de cet accord au ralenti (de 20 fois) apparaît à la fin de la vidéo.

5.5.4Certes, quelques pianistes (comme Artur Rubinstein) avaient tendance (ou l'ont encore) à ignorer cette règle et à faire retomber leurs mains sur le clavier d'une hauteur de plus d'une dizaine de centimètres, voire plus. Tout dépend de la situation et aussi de... la fantaisie du pianiste. Plus grande est la chute du poids et moins l'effort des muscles est important. Cette technique facilite donc, en quelque sorte, le jeu. Mais ce n'est pas non plus un moyen d'expression particulier qui donnerait une qualité de son exceptionnelle. Ce n'est, tout au plus, qu'une attraction visuelle pour le public, et quand différence de sonorité il y a, elle est souvent plutôt défavorable - il faut avoir la technique, la mesure et l'expérience de Rubinstein pour éviter cet effet. De plus, cette manière de jouer augmente le risque de frapper la mauvaise touche et même celui d'endommager la main (lors d'un récent concert à Varsovie, Ivo Pogorelić a attaqué nonchalamment le clavier de très haut et s'est blessé au doigt jusqu'au sang).

5.5.5Cependant, l'erreur la plus fréquente et la plus sérieuse n'est pas le fait d'attaquer le clavier de très haut, mais celle d'articuler inutilement chaque doigt à 1 ou 2 cm au-dessus de la touche. C'est la conséquence d'une maîtrise insuffisante du clavier et de certaines habitudes inappropriées. Ce phénomène est très négatif, car une telle frappe provoque un petit choc du doigt contre la touche, ce qui donne une moche sonorité et fait perdre inutilement de l'énergie. Une accumulation de ce genre de pertes minimales aboutit à une parésie technique sérieuse du pianiste et à des maux de main.

Dans ►le chapitre suivant, consacré au jeu staccato, vous allez apprendre à bien vous exercer aux mouvements impulsifs, quant à la question de la suspension, vous en saurez plus en lisant ►chapitre 8 ("Vibration musculaire").

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