0.1.1Certains extraits de nombreux travaux remarquables, portant sur les techniques de piano, sont trop subjectifs. Ils décrivent souvent les mouvements de la main du pianiste d'une façon incomplète ou bien, au contraire, trop scientifique, et donc peu communicative.
0.1.2De nos jours, même la méthode de Chopin doit faire l'objet d'une approche plus critique. Chopin a mis en opposition sa conception du travail artistique sur la technique, aux exercices mécaniques de Czerny ou de Kalkbrenner (ce dernier, par exemple, conseillait de faire des exercices pratiques tout en lisant un livre!). La conception de Chopin était certes très novatrice, mais il ne faut pas oublier que ce dernier était un génie ayant une approche intuitive des techniques de piano. Qui serait de nos jours d'accord, par exemple, avec son affirmation selon laquelle il suffirait de s'entraîner trois heures par jour seulement (Dubois/Niecks)? De plus, chaque pianiste sait que les instruments de la moitié du XIX siècle étaient très différents de ceux d'aujourd'hui. Il est sûr que certaines vérités annoncées par Chopin resteront toujours d'actualité (cf. le toucher - chapitre 6), mais d'autres ont néanmoins été précisées d'une façon plus objective depuis, comme en témoignent les opinions des théoriciens plus récents (cf. les propos de Sielu¿ycki et de Matthay dans les deux cadres ci-dessous).
0.1.3L'objectif de ce site est de présenter de la manière la plus concise et la plus facile à comprendre les processus mécaniques qui régissent l'appareil moteur du pianiste, lorsque celui-ci joue. Je prendrai en compte l'application pratique des méthodes déjà existantes, mais je donnerai également de nouveaux apports et éclaircissements quant à leurs éventuelles imprécisions. Nous aborderons le thème de l'action consciente du pianiste sur son appareil moteur en vue d'obtenir les meilleurs effets musicaux possibles. Ce site ne proposera pas, en revanche, de solutions toutes prêtes pouvant être imitées sans réfléchir et une certaine expérience du piano sera nécessaire. C'est pourquoi il est avant tout destiné à des élèves ou des étudiants disposant déjà d’un certain niveau, mais aussi à tous les amateurs de piano qui souhaiteraient, même de manière théorique uniquement, approfondir leur connaissance de cet instrument.
0.2.1Les jeunes pianistes affirment souvent, à tort, qu'il ne vaut pas la peine de perdre du temps pour étudier la théorie et qu'il suffit juste de s'entraîner longtemps sur un morceau difficile pour qu'il "se joue tout seul" en fin de compte. De la même manière, on a tendance à minimiser l'importance de l'aspect théorique de l'apprentissage d'un morceau. Pourtant, dans la première moitié du XX siècle déjà, Tobias Matthay a remarqué que:
0.2.2Le travail d'un génie progresse, sans aucun doute, plus facilement et plus rapidement, mais:
0.2.3Apprendre à jouer du piano, même en étant l'élève d'un grand pianiste, est un processus extrêmement complexe et pas tout à fait réel, car même le meilleur enseignant est incapable de transmettre les mouvements qu'il faut intérieurement sentir soi-même. Voyons l'exemple suivant: j'ai devant moi quelqu'un qui n'arrive pas à garder l'équilibre sur un vélo - même si je sais rouler à vélo, je ne peux expliquer comment atteindre cet équilibre, car comment décrire avec des mots un état qui ne dépend que de mes propres sens? Et ô combien est-il plus difficile d'expliquer la manière d'atteindre l'équilibre sur un clavier? La technique pianistique dépend, en effet, dans une large mesure de l'agilité de la main, pesant près de 4 kg, sur le clavier.
Par ailleurs, certains pédagogues ne se préoccupent pas toujours de la bonne compréhension de leur cours dispensés à leurs élèves.
Et le phénomène dépasse le cadre de la seule pianistique! Comme me le signalent des étudiants d'autres disciplines, des problèmes similaires lors de la transmission d'informations précises par les professeurs, existent aussi dans d'autres domaines, comme la médecine ou l'architecture, ce qui inquiète encore plus.
0.2.4Certains éléments et moyens techniques peuvent être observés chez les bons pianistes et nous pouvons tenter de les appliquer dans notre propre façon de jouer. D'autres, en revanche, ne sont pas visibles ni du premier rang de la salle, ni sur les mains filmées en gros plans, car certaines forces opèrent de manière invisible (c'est de cette constatation qu'est né un travail remarquable de T. Matthay, intitulé "Le visible et l'invisible dans la technique pianistique"). Par ailleurs, plus le pianiste est expérimenté, plus il économise ses mouvements, et donc il est encore plus difficile d'«épier» comment il procède. Mieux encore, même en prenant des cours auprès d'un virtuose célèbre on n'est pas certain qu'il puisse résoudre nos problèmes techniques, car étant donné qu'il joue lui-même à la perfection il peut, tout simplement, ignorer la solution à un problème qu'il n'a jamais connu. En effet, les virtuoses possédant leur technique innée jouent instinctivement et ne se rendent pas toujours compte de l'origine de leur prédisposition. C'est pourquoi les conseils didactiques qu'ils proposent omettent souvent des détails très importants.
0.2.5Notons par la même occasion que le terme "virtuose" inspire respect et admiration, même si tous les types de virtuosité ne méritent pas réellement une telle considération. L'agilité technique du pianiste devrait donner vie à la conception du compositeur de la manière la plus fidèle possible. Pourtant, il arrive que même des pianistes célèbres abusent de leur facilité de mouvements en jouant beaucoup trop vite, non seulement par rapport aux notes, mais aussi par rapport au bon goût musical (cf. la théorie du professeur Woytowicz). Cette tendance à surjouer pour impressionner un public non averti musicalement parlant, peut être placée au même rang que la manière de certains chanteurs qui allongent abusivement les notes plus longues uniquement pour "donner de la voix". Ces deux attitudes ne sont qu'un boniment qui déforme le texte musical d'origine.
0.3.2L'un des plus grands paradoxes dans le domaine du piano est le fait que toute cette diversité de mouvements (Godowsky) permettant d'obtenir une richesse de sonorités (Chopin) n'est déterminée que par u n s e u l paramètre physique: la vitesse de frappe des touches, et donc la vitesse avec laquelle la corde est attaquée par le marteau! T.Matthay constate: "La création du son: plus la vitesse de frappe sur la corde est grande, plus le volume sonore augmente [...] Il n'y a aucun autre moyen".
0.3.3Czesław Sielużycki, en tant que médecin, affirme que la "main" (un membre à part entière) contient presque 50 muscles. Dans son ouvrage, "La main du pianiste", il décrit, par ailleurs, près de 40 sortes de mouvements susceptibles d'être utilisés pour jouer du piano. Je ne crois pas personnellement qu'il soit nécessaire de maîtriser tous ces mouvements pour pouvoir bien jouer du piano. D'autant plus que, comme l'affirme l'auteur, ces méthodes se révèlent peu efficaces dans la pratique. Il est certainement plus judicieux de comprendre les règles générales qui régissent l'appareil moteur (ce que je propose sur ce site) et ensuite de former son propre arsenal de moyens techniques basés sur ces fondements. Voilà ce que devrait être l'objectif primordial de l'apprenti pianiste.
0.3.4
Enfin, je souhaiterais vous mettre en garde. Une conscience claire et objective des mécanismes basiques du jeu peut améliorer fortement la technique pianistique et raccourcir dans une grande mesure la période d'entraînement. Cependant, il faut garder à l'esprit qu'il ne sert à rien de trop analyser le travail de ses propres muscles et des articulations lorsque l'on joue. Ceci peut même être néfaste. Neuhaus se moquait même de cette approche trop "chirurgicale" du jeu en disant:
"Si je parviens à réaliser ce que j'ai conçu […], il m'est parfaitement indifférent de savoir ce que font pendant ce temps mon coude et mes amis supinateurs et pronateurs"
Travaillons donc raisonnablement, en gardant une certaine mesure et des proportions convenables!