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Certains parmi eux (marqués
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nouvelles fenêtres. Pour une
meilleure compréhension du texte, je vous recommande de ne pas ouvrir ces liens
lors de la
première lecture, mais d’y revenir après avoir lu le chapitre entier,
si vous souhaitez acquérir une
connaissance plus complète.
* * *
6.1 - Informations préliminaires
6.1.1
Tout d'abord, je tiens à rappeler que je ne vais pas mentionner toutes les sortes de staccati pianistiques et je ne parlerai pas non plus de leur réalisation dans les morceaux de différents compositeurs, car je crois que ces problèmes ne peuvent être discutés que devant un clavier. Je cherche surtout à démontrer la grande utilité de cette articulation dans le cadre général d'un perfectionnement de la technique. Toute personne qui arrive à maîtriser le staccato de base - tel qu'il est décrit ci-dessous sera capable de le modeler librement par la suite et de l'adapter par l'oreille au style de chaque compositeur.
6.1.2
Le staccato est moins présent dans la littérature pianistique que le legato (au moins dans l'écriture), mais un entraînement en mode staccato de ce qui a été écrit pour le legato donne d'excellents résultats techniques. Plus précisément, le staccato (simple, double, triple) utilisé lors d'exercices, constitue un excellent point de départ pour maîtriser des techniques de virtuose fondamentales telles que le jeu poco legato, le jeu perlé, la technique de projection ou encore ce qu'on appelle secousse de l'épaule. Bref, pour obtenir un état du bras qualifié par Liszt de "vol plané". Ces techniques seront décrites dans les chapitres suivants. Pour l'instant, concentrons-nous sur la manière de jouer correctement un staccato très bref et énergique.
6.2 - Le "toucher" dans la méthode de Chopin
6.2.1
En français, le mot
toucher exprime à la fois une action et un sens. Dans la technique pianistique,
toucher signifie ressentir les touches sur deux plans. Non seulement sur le plan vertical, évident, mais aussi sur l'horizontal, ce qui revient à ressentir sa surface. Chopin conseillait de
caresser les touches au lieu de les frapper
(Mathias/Eigeldinger). C'est l'une de ses découvertes les plus importantes dans le domaine de la technique pianistique, mais encore faut-il savoir comment la mettre en pratique. Avant tout, il ne faut pas prendre cette recommandation au pied de la lettre.
6.2.2
En réalité, "caresser la touche", c'est-à-dire faire glisser sur celle-ci le doigt qui a tendance à se plier, provoque un effet de frottement plus ou moins important entre la surface de la touche et le coussinet du doigt. Une telle façon de jouer provoque des pertes énormes d'énergie musculaire, et souvent, en conséquence, un mal au bras. Nous ne nous rendons souvent pas compte non plus des
résistances internes de la main
/
du bras et de l'effet de
frottement interne de celui-ci (dans les muscles et dans les tendons), d'autant plus important que les mouvements sont amples.
6.2.3
Il existe également une autre possibilité: lorsque nous faisons glisser un doigt sur une assiette propre, nous nous rapprochons de la limite d'adhérence, c'est-à-dire du moment au-delà duquel l'assiette se met à produire un bruit. La "caresse" décrite par Chopin consiste à trouver cette limite d'adhérence, mais
sans la dépasser, c'est-à-dire sans glisser sur la touche ni l'appuyer. Effectuer cette manœuvre sur une touche qui s'affaisse facilement n'est pas du tout évident (plus le
clavier est mou et plus la difficulté augmente) et demande des mouvements subtils. Lorsque le bout du doigt est ainsi immobilisé à l'horizontale, il suffit juste d'ajouter un minimum d'énergie pour appuyer la touche et produire un son. Il existe plusieurs moyens d'obtenir ce supplément d'énergie - en partant du métacarpe pour aboutir à l'épaule (ce dernier plus recommandé).
6.2.4
Beaucoup de pianistes et de théoriciens (cf.
p. 8.3.1) accordent énormément d'importance à l'activité de la phalange distale, sans laquelle aucune grande technique pianistique
n'est possible, et mentionnent la "caresse de la touche" à travers d'autres expressions ou comparaisons:
T. Matthay abordait le sujet avec une objectivité scientifique:
"Une certaine énergie doit être appliquée à la touche avant même que cette dernière se mette en mouvement".

Ma première enseignante, Halina Czarkowska, comparait le bout du doigt à un
tentacule qui devait se
coller sur la touche avant même qu'elle soit appuyée.

Nous pouvons également parler de
saisir la touche par le bout du doigt ou de l'
accrocher. Jouer de très près a un lien direct avec le fait de ressentir correctement la touche, le contraire d'une articulation fondamentalement incorrecte des doigts, c'est-à-dire le fait d'attaquer les touches de loin. Pour plus d'informations, veuillez vous référer à la
partie 5.5.3.
6.2.5
Comme dans le cas d'un
"pont", il s'agit ici de
perdre l'habitude d'appuyer les touches de manière verticale, vers le bas, et d'ajouter une composante horizontale d'amortissement aux mouvements du doigt ou du bras. Pour obtenir un pont, nous ouvrons légèrement ce dernier, ce qui constitue un mouvement d'
éloignement, et nous grattons ou caressons la touche en faisant un mouvement
dans notre direction. Nous verrons comment concilier cette contradiction apparente dans le point 6.3, consacré au mouvement double, c'est-à-dire au fait de
"jouer d'en bas".
Bien évidemment, la technique pianistique constitue UNE UNITÉ inséparable, dont tous les éléments doivent parfaitement coopérer mutuellement, comme dans une montre suisse. Voilà pourquoi même la meilleure manière de réaliser le grattage/la caresse ne donnera pas de bons résultats sans le soutien adéquat de l'«arrière front», c'est-à-dire de la section située entre le métacarpe et l'épaule, voire les pieds. Le contraire est tout aussi vrai: même le meilleur "arrière front" ne compensera pas une activité des doigts trop faible.
6.2.6
Quelques mots en marge
Je suis tombé par hasard sur un fichier PDF (en polonais) créé par Stanisław Olędzki et intitulé "Rencontres avec la pédagogique de Krystian Zimerman", où j'ai trouvé ce fragment de compte-rendu d'une leçon:
"Je vois que beaucoup de choses se passent sur la surface du clavier, c'est-à-dire que vous appuyez sur une touche, vous la mettez en mouvement et... vous cessez de garder le contrôle sur elle. De cette manière, la touche peut atteindre le fond, mais elle peut tout aussi bien ne pas le faire. Si le piano est plus dur, elle n'y arrivera pas. Il faut essayer de jouer davantage à "l'intérieur du clavier" en vous concentrant sur le fond de la touche; c'est là que se trouve votre point de contact avec le clavier, et non à sa surface."
En premier lieu, je tiens à rappeler que d'un point de vue objectif et physique le mécanisme du piano ne permet pas de contrôler le mouvement du marteau au-delà des ¾ supérieurs de la profondeur de la touche (cf. Propriétés du clavier point 3.2). Pour cette raison, le fond du clavier est atteint après le moment de frappe de la corde par le marteau. Ainsi, chaque appui n'a d'influence que sur le son suivant. C'est d'ailleurs de là que vient, dans certaines situations, le problème de jouer pp la première note ou le premier accord, car il n’y a pas la touche précédente à l'aide de laquelle on pourrait rebondir. Voilà pourquoi Ingolf Wunder, par exemple, joue de la main gauche la première tierce de l'Étude des tierces de Chopin.
Quant à l'indication "davantage à l'intérieur du clavier", tellement propre à l'école pianistique polonaise, elle peut être trompeuse pour un étudiant, car elle n'est vraie qu'à moitié - pour tout ce qui concerne la limite inférieure de ce que l'on appelle contact du doigt avec la touche. A force de trop chercher le fond du clavier, l'élève risque de faire une "overdose" de poids avec toutes les conséquences néfastes qui en découlent, décrites en détail dans le chapitre consacré au poids de la main. Quant à la vérité concernant la limite supérieure, initiale de ce contact, il s'agit du fameux toucher de Chopin. Evidemment, Zimerman a raison en disant que le doigt devrait accompagner la touche jusqu'au fond du clavier, mais son indication est aussi incomplète que les nombreux conseils similaires venants des maîtres du passé. Pour ma part, je crois qu'une bonne technique consiste à trouver dans les mouvements du bras et le toucher des doigts un bon compromis dans l'oscillation du poids du bras (membre) entre les niveaux supérieur et inférieur de la touche. En d'autres termes, il s'agit de l'aptitude à ressentir les limites verticales du clavier de manière équilibrée, afin que la main ne s'y enfonce pas trop profondément et qu'elle ne plane pas non plus au-dessus de celui-ci trop superficiellement (bien évidemment, il faut le faire de manière impulsionnelle - cf. le point 6.4.2 ci-dessous). Une vérité partielle, c’est-à-dire ne prendre en considération qu'une seule limite, ne permet pas non seulement de résoudre le problème, mais en plus peut l'aggraver.

6.3 - Comment jouer staccato correctement?
6.3.1 Testez un mouvement double
Posez un doigt sur une touche, non pas à la verticale, mais sous un certain angle, afin de jouer avec le
coussinet et non pas l'ongle (photo 1a). Essayez de réaliser
simultanément les mouvements suivants
(photo 1b sous le curseur):

En
soulevant énergiquement le poignet, jouez
la note la plus courte possible...

...en
pliant très légèrement la phalange distale comme décrit plus précisément dans les points 6.2.3 et 6.2.4.
La somme de toutes les composantes donne un effet de levier et
"jouer d'en bas" est la meilleure façon de décrire le mouvement global. Ce mouvement rappelle aussi le fait d'enrouler une feuille de papier -
placez le curseur sur la photo 2a ci-dessous pour voir 2b. Cliquez pour voir une courte vidéo.
N.B. J'omets volontairement ici les mouvements latéraux du poignet et l'écartement des coudes (c'est-à-dire les mouvements de levier), qui seront décrits en détail dans le chapitre 2, en préparation.

D'ailleurs, l'utilisation de ce genre de mouvement double, c'est-à-dire de la mise en action du
tandem extrémité du doigt
/
poignet, ne se limite pas au staccato. C'est un mouvement pianistique universel, qui a pour but de transmettre à la touche le mouvement et le poids des
unités supérieures (cf. 6.4.3 ci-dessous). Les photos 2c-d
d (sous le curseur) sont deux
trames successives vidéo (vitesse de 25 images par seconde) d'un film tourné lors d'un concert viennois de Horowitz. En les comparant, nous apercevons précisément des soulèvements légers du poignet droit en relation avec l'appui de la touche avec l'index. Mes photos (1a-b et 2a-b)
exagèrent volontairement ce mouvement pour permettre une meilleure compréhension.
N.B. On m'a fait remarquer que le mouvement de la main de Horowitz était trop peu visible sur ces photos. J'ai regardé une centaine de trames vidéo pour repérer un mouvement plus ample et... je n'ai rien trouvé! Néanmoins, il s'agit bel et bien de ce mouvement. Le fait qu'il soit si peu visible confirme la règle bien connue selon laquelle la technique optimale est celle qui réduit les mouvements au maximum.
6.3.2
ATTENTION! Des élèves moins avancés se plaignent d'avoir mal au poignet et/ou à l'avant bras pendant qu'ils effectuent le susmentionné
mouvement double. Il est évident pour un pianiste expérimenté qu'il faut faire un tel mouvement simultanément avec une petite poussée de l'épaule, c'est-à-dire en dépliant légèrement le bras et avant-bras. Il utilise donc comme moteur du jeu les muscles grands et forts de l'épaule (cf. plus bas le dessin du train - p. 6.4.3). Si l'élève essaie de jouer sans la participation de ce moteur principal, il obtient la douleur comme résultat, car celle-ci est toujours présente lors d'une surcharge de muscles.
6.3.3
Généralement parlant, le mouvement du poignet fournit aux doigts de l'énergie arrivant de l'épaule, quant à la phalange distale, elle définit la longueur de la note et les caractéristiques de sa sonorité. Ces deux mouvements doivent être
soigneusement équilibrés et
synchronisés avec précision simultanément (ce qui n'est pas du tout facile-cf.la vidéo suivante, sous la photo 3). Après avoir joué une note, le poignet devrait immédiatement revenir à sa position initiale (photo 1a), afin de garantir le même point de départ pour la note suivante - condition indispensable pour obtenir une sonorité identique.
6.4 - Comment éviter les erreurs visibles et
invisibles?
6.4.1 Comment éviter les erreurs visibles?
Bien que mon nouvel élève joue déjà les Études de Chopin et les Sonates de Beethoven, son jeu staccato doit encore être amélioré:
●
son doigt glisse trop sur la touche (cf. photos 3a/3b3b - sous le curseur);
●
ses mouvements sont trop amples (vidéo sous la photo 3: dans la seconde partie vous pouvez voir
un exemple de staccato réalisé par moi);
●
ses sons durent deux fois plus longtemps que les miens, comme vous pouvez l'entendre sur la
vidéo 3 et voir sur le graphique 4.
6.4.2 Comment éviter les erreurs invisibles?
Bien sûr, c'est beaucoup moins évident. Avant tout, il faut connaître au moins les bases du fonctionnement de l'appareil moteur. Lisez
ceci pour apprendre davantage sur les fixations musculaires et ligamentaires, regardez les illustrations représentant les
ligaments. Bien évidemment, je ne peux pas expliquer toute la technique pianistique en quelques phrases. D'ailleurs, ce n'est pas nécessaire pour l'instant. Il suffit juste de souligner que plus le jeu est rapide et plus les contractions musculaires sont courtes par rapport à la durée du son, celles-ci constituant seulement l'
impulsion du mouvement initial. Par la suite, cette impulsion est amplifiée, c'est-à-dire accélérée (par la chute de la masse, le fonctionnement du levier, les mouvements projectifs ou rotatifs et l'influence des autres membres), alors que le muscle ayant déclenché cette première impulsion se décontracte et profite de ce "temps libre" pour se reposer. Il en résulte une économie d'énergie importante. Cette
impulsivité de l'action constitue l'une des caractéristiques les plus importantes de la grande technique pianistique. Elle est aussi spécifique au jeu staccato, ce qui explique l'utilité de cette articulation lors d'exercices techniques.
6.4.3
L'épaule constitue la
locomotive principale du pianiste (illustration ci-dessus), c'est-à-dire sa source d'énergie. Le fonctionnement du poignet (non seulement lors d'un staccato) peut être comparé à une
locomotive secondaire placée au milieu d'un train: elle pousse les wagons qui la précèdent (c'est-à-dire la main et les doigts) tout en tirant ceux qui se trouvent derrière (l'avant-bras et le bras). Pousser la main et les doigts pendant le jeu, permet d'exploiter de manière optimale la
fixation ligamentaire des
"unités du doigt", ce qui demande nettement moins d'énergie par rapport à une fixation musculaire. Accompagné d'une traction du bras et d'une poussée de l'épaule, ce geste permet de réaliser pendant une fraction de seconde un
"pont"

neuhausien entre le fond de la touche et l'épaule
(illustration 5b, sous le curseur), ce que nous pouvons voir sur les vidéos ci-dessus: au moment de la production du son, l'avant-bras se déplace très légèrement vers le piano.
Légende pour les illustr. 5a et 5b (sous le curseur):
R1 - résistance de la masse du piano
R2 - résistance de la masse du corps (empêche le recul du torse)


-

force (possédant une caractéristique
horizontale*) d'ouverture du bras au niveau du coude, qui est transformée en force
verticale
par

un mouvement du poignet.
____________________________
*Un mouvement le long d'un arc de cercle n'est
jamais tout à fait
horizontal ni vertical
6.4.4
Les problèmes techniques commencent à survenir, entre autres, lorsque les wagons situés derrière la locomotive ont leurs freins serrés, pour en revenir à la comparaison avec un train. Parmi les freins les plus néfastes chez un pianiste se trouvent les muscles qui tirent le coude vers le torse. Nous le verrons plus en détail dans un autre contexte. Ici, dans le cadre du staccato, je tiens simplement à rappeler qu'à tout moment les bras du pianiste devraient être relaxés le plus possible au niveau des aisselles (cf. le "mouvement alaire" - p. 5.4.3). Cela donne un effet très agréable de légèreté et une impression de "flotter au-dessus du clavier", comme celle décrite par Neuhaus lorsque celui-ci se référait au conseil de Liszt, dont nous avons déjà parlé.
ATTENTION! Il ne faut pas confondre ce genre de relâchement des bras avec
un espacement (écartement) trop important des coudes, ce qui constitue une faute grave.
6.5 - Exemples audio et vidéo
6.5.1
Ci-dessous, je mets à votre disposition quelques exemples pratiques audio et vidéo du jeu staccato et de l'utilisation de cette articulation lors d'exercices de ce qu'on appelle "endroits difficiles". Bien évidemment, pour jouer ces exemples, j'ai utilisé la technique pianistique dans son intégralité. Par conséquent, pour obtenir les mêmes résultats, la bonne maîtrise du seul jeu staccato, qui ne constitue qu'un des éléments de cette technique, n'est pas suffisante. Les éléments complémentaires se trouvent dans les exemples vidéo du chapitre 8.5 et dans la "Toccata" de Debussy qui traitent de la réalisation de répétitions rapides avec un seul doigt, et donc forcément aussi du staccato.
ATTENTION! J'accélère volontairement certains exercices au cours du jeu - de cette manière on peut réduire quelque peu le temps de travail (bien évidemment, dans des proportions raisonnables et dans les limites de l'état technique du morceau ou d'un endroit précis). Il convient de stabiliser le tempo par la suite dans des parties plus longues et en jouant le morceau en entier.
* * *
6.5.2
Exemple de morceau fait pour être joué staccato:
Vidéo de Bach: Gigue de la 5ème Suite française en sol majeur
Exercice et deux fragments pour MD et MG (Abréviations)
6.5.2.1
La plus grande difficulté se trouve cependant ailleurs: le professeur Woytowicz trouvait très important le fait que l'auditeur
PUISSE ENTENDRE le premier temps dès le début du morceau, lorsque celui-ci commence par une anacrouse. Bien évidemment, il ne s'agissait pas d'un trivial "accent sur le premier temps", mais d'un jeu subtil et intelligent lors duquel on pouvait entendre distinctement que le début de la première mesure n'équivalait pas à la première note jouée, mais à l'une des suivantes. Pour réaliser cette tâche, il faut non seulement accentuer adéquatement le premier temps, mais aussi aborder plus légèrement l'anacrouse et réaliser un marquage agogique (très léger) de celui-ci, c'est-à-dire une petite respiration. Cette règle n'est pas toujours suffisamment respectée. Par exemple, le seul début de la troisième partie du Double concert pour violons de Bach (BWV 1043) est extrêmement difficile à équilibrer. Le lecteur joue alternativement deux versions. Dans un premier temps, essayez de les
écouter les yeux fermés, car la vue des partitions peut nuire à la perception objective.
1. Nigel Kennedy a très joliment exécuté le premier temps de la première mesure (avec l'anacrouse bien légère et plastique), mais l'orchestre n'a pas démarré en même temps que lui, ce qui a provoqué une perturbation rythmique de plus d'une seconde (jusqu'à la moitié de la première mesure environ). L'imitation de Fionnuala Hunt est quasiment inaudible.
2. Hilary Hahn et Margaret Batjer commencent cette partie avec une grande précision, l'imitation se trouve à la bonne place, mais l'anacrouse est jouée d'une manière trop "plate" du point de vue agogique, sans la respiration nécessaire. L'absence d'une telle "incision" rythmique dans l'anacrouse produit un effet mécanique ou électronique.
Toutefois, dans les deux enregistrements, le premier temps
n'apparaît clairement qu'au début de la seconde mesure.
6.5.2.2
Dans le cas de la
Gigue de la 5ème Suite française, le premier temps tombe sur le sol joué par le troisième doigt. Quant au geste naturel du poignet (
liaisons rouges présents sur l'exemple de portée à droite), il rend les débuts des triolets les plus susceptibles d'être accentués: le ré (joué avec le pouce) et le fa dièse (second doigt). La façon la plus simple de jouer cette mesure consisterait donc à accentuer en accord avec le mouvement du poignet:
135 235 135 235 |
alors qu'il faut sentir (et permettre à l'auditeur de ressentir!) le rythme tel qu'il a été indiqué par Bach:
1
| 352
351
352
351
|
6.5.2.3
Des conflits entre les mouvements mécaniques de la main et l'accent logique de la mesure arrivent très fréquemment - un autre cas est décrit ci-dessous, dans le point 6.5.3.2 (Étude en la mineur de Chopin). Ce problème a été abordé dans les exercices 8a et 8b de Brahms ("51 exercices"), dans lesquels la position du pouce est volontairement déplacée des temps de la mesure vers les secondes double-croches de chaque groupe, et ce justement afin d'éliminer le problème de l'accentuation incorrecte par le pouce, qui se produit ici.
N.B. Cet exercice peut également être joué en triolets (staccato et legato) pour apprendre à contrôler les pulsations métriques qui concernent à chaque fois un doigt différent.
6.5.3
Travailler staccato des passages prévus pour être joués legato:
Dans les deux exemples à suivre, je présente, d'une manière très sommaire par nécessité, une manière de jouer qui consiste à augmenter progressivement le tempo de façon à passer d'un staccato à un poco legato. A noter qu'un legato total et "physique" exécuté avec un tempo très rapide n'existe pratiquement pas (cf. le rappel sur Busoni à la fin de la partie 5.5.2). Bien évidemment, une personne qui n'a jamais joué à pleine vitesse de morceau rapide (ou son extrait) aura besoin de beaucoup de temps pour y parvenir. Néanmoins, si vous avez déjà réussi à jouer rapidement une partie, même courte, tout en gardant un son et un rythme équilibré, vous êtes sur la bonne voie pour réussir à jouer l'intégralité avec ce tempo, à force de patience et de rigueur dans les exercices.
N.B.
B. Woytowicz enseignait une technique spéciale pour augmenter facilement le tempo.
6.5.3.1
Audio Moszkowski: "Les étincelles" - exercices et mes. 1-8
L'enregistrement du morceau intégral (en live) se trouve ici.
J'ai joué la dernière version de cet exercice volontairement trop vite par rapport au tempo maximal du morceau. Cette façon de s'entraîner fait également partie des éléments de la méthode du professeur Woytowicz, qui disait qu'il ne fallait jamais jouer à sa vitesse maximale lors d'un concert public, mais "de quelques pour cent moins vite" (expression formulée par le Professeur) - c'est-à-dire avec une petite marge de sécurité. Nous pouvons en tirer une conclusion logique selon laquelle il faut, de temps en temps, pendant les exercices, dépasser le tempo du morceau, afin de se sentir vraiment à l'aise sur la scène. Il ne faut pas, cependant, le faire trop souvent, car un tempo excessif modifie l'image du morceau présente dans le cerveau et dans les doigts. Voilà pourquoi beaucoup de virtuoses, à l'issue de leurs concerts, rejouent tout le programme à un tempo moyen et avec la partition devant les yeux pour se "libérer" de l'influence néfaste d'un jeu trop rapide. Bien évidemment, durant le concert, il ne faut pas jouer trop vite (phénomène fréquent chez certains pianistes disposant d'une grande facilité technique), car une telle façon de jouer déforme la conception sonore prévue par le compositeur.
6.5.3.2
Vidéo Chopin: Étude en la mineur op. 25 n° 11 - exercices et mesures 5-12
Dans le premier exercice enregistré, j'ai regroupé les double-croches par quatre, c'est-à-dire selon le mouvement naturel, impulsif de l'épaule (et, en conséquence, du poignet). Dans le second, en accord avec la partition de Chopin, par six. Dans ce cas, la division par quatre (technique) et la division par six (musicale) se superposent mutuellement comme deux ondes de fréquences différentes et engendrent un travail assez complexe du bras. Des exercices plus détaillés pour cette Étude se trouvent dans le chapitre
"Comment travailler les Études de Chopin".
* * *
Copyright © 2012, Aleksander Woronicki